J’ai déambulé pendant des heures et des heures, au bout du compte équivalent à de jours et de jours, sans rencontrer foule. Ainsi en cette fin de mois d’août, pourtant ensoleillée, je ne croise « âme qui vive ». Par trop conditionnés et disciplinés, les touristes ne fréquentent pas les recoins, le hors circuit, le parcours des délaissés. Ils ne s’égarent pas dans les voies de traverse. Les guides ne signalent que des parcours à thèmes, ceux qui sont balisés par les stations où les célébrités reposent.
Et je marche, et je flâne, mes pas crépitent sur le gravillon. Je ne suis que cela, celui qui marche dans la fraîcheur de l’automne, dans les premières chaleurs du printemps. Je ne suis que cela, celui qui marche et qui songe dans ces allées désertes…. quand bien même je ne serais qu’un être qui marche et qui avance, et s’enquiert du chemin à prendre, sans délaisser ses compagnons de voyage, sans négliger de regarder en arrière. Un être qui marche et regarde, observe, et pense, et dit. Et doute.
J’entends des frottements, quelqu’un nettoie énergiquement une pierre tombale. Grondement sourd d’avion et bruissement de la ville, klaxons, sirène de pompier ou de police. Je marche vite, avivé par je ne sais quelle impatience.
Laissons les s’engourdir et s’évanouir. Ils auront glissé dans la douce sérénité de leur grand âge à ce plus profond et plus durable repos mérité. Qu’ils s’endorment du « sommeil de la terre ». Honorons les dignement d’un cérémonieux rituel de passage et d’un sage au revoir, sans que trop de tristesse nous afflige. Rendons leur un respectueux hommage pour ce qu’ils nous ont donné et légué, car c’est un peu de nous-même qui s’en va, et n’est-ce pas le signe avant-coureur de notre propre départ ? Nous serons tôt ou tard ces ancêtres et c’est en somme nous que nous célébrons.
Ils sont là, dans la quiétude de ces allées fleuries, vivantes, presque gaies. Le voyage les a achevés, ils ont achevé le voyage : destins clos. Nous venons plein de sollicitude, apporter nos signes de déférence, de respect et d’attention, à l’écoute de notre propre conscience. Ils sont là nos grands hommes, ceux qui ont fait l’histoire, notre histoire.
On peut envisager toutes les images poétiques ou romantiques de la mort, imaginer tous les rivages possibles pour l’au-delà. L’insondable, à jamais inconnaissable, suscitera toutes les ressources de l’imagination. On n’aura jamais fini de gloser sur ce lendemain sans lendemain.
C’est pour songer à sa mort sans effroi qu’on vient flâner ici.